Germain-Phion & Jacquemet
Défense des salariés

Carnet de route de la négociation dans les entreprises

Actualité publiée le 11/01/2018

Les ordonnances du 22 septembre 2017 ont profondément remanié le code du travail. Un tiers des dispositions du code du travail ont été réécrites et parmi elles, celles relatives à la hiérarchie des normes. Jusqu’à présent, et à quelques exceptions près, les règles fixées par le code du travail s’imposaient.

Les ordonnances du 22 septembre 2017 ont profondément remanié le code du travail.

Un tiers des dispositions du code du travail ont été réécrites et parmi elles, celles relatives à la hiérarchie des normes.

Jusqu’à présent, et à quelques exceptions près, les règles fixées par le code du travail s’imposaient.

Les accords de branche pouvaient y déroger dans un sens plus favorable.

Quant aux accords d’entreprise, ils devaient nécessairement  être plus favorables que le code du travail et les accords de branche.

La loi TRAVAIL du 8 août 2016 a fissuré cet édifice en prévoyant que les accords d’entreprise relatifs à la durée du travail, les congés et les repos peuvent déroger, y compris dans un sens défavorable, aux dispositions prévues par les accords de branche.

Les ordonnances du 22 septembre 2017 parachèvent cette « déstructuration » de l’architecture des normes.

Les entreprises peuvent désormais, sur de très nombreux thèmes, négocier très nombreux thèmes négociésDANS LES ENTREPRISES librement des accords qui pourront être moins favorables que les accords de branche.

C’est dire l’importance de la mission qui est confiée aux salariés négociateurs des accords d’entreprise.

 

Les trois blocs de négociation.

Les ordonnances du 22 septembre 2017 ont créé trois grands blocs autour desquels la négociation d’entreprise s’articule.

Bloc n° 1 : il est constitué de 13 matières qui relèvent du seul ressort de la branche.

Dans les 13 matières énumérées ci-après les dispositions de l’accord de branche s’imposeront aux entreprises.

Les accords d’entreprise ne pourront y déroger que dans un sens plus favorable ou prévoir des garanties équivalentes.

La grande question sera naturellement de savoir ce que recouvre la notion de garanties équivalentes.

Les 13 matières sont :

  1. Les salaires minima hiérarchiques ;
  2. Les classifications ;
  3. La mutualisation des fonds de financement du paritarisme ;
  4. La mutualisation des fonds de la formation professionnelle ;
  5. Les garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L 912-1 du code de la sécurité sociale ;
  6. Les mesures relatives à la durée du travail, à la répartition et à l’aménagement des horaires ;
  7. Certaines mesures relatives aux contrats de travail à durée déterminés et aux contrats de travail temporaire ;
  8. Les mesures relatives au contrat à durée indéterminée de chantier;
  9. L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
  10. Les conditions et les durées de renouvellement de la période d’essai.
  11. Les modalités selon lesquelles la poursuite des contrats de travail est organisée entre deux entreprises lorsque les conditions d’application de l’article L. 1224-1 ne sont pas réunies.
  12. Certains cas de mise à disposition d’un salarié temporaire auprès d’une entreprise utilisatrice.
  13. La rémunération minimale du salarié porté et le montant de l’indemnité d’apporteur d’affaire.

 

Bloc n° 2 : il est constitué de quatre matières au sujet desquelles les accords de branche pourront prévoir des clauses dites de verrouillage.

Dans les quatre matières suivantes, l’accord de branche peut décider par une clause dite de verrouillage que l’accord d’entreprise ne peut prévoir des stipulations différentes (et à fortiori moins favorables) à celles de l’accord de branche :

 

  1. La prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels énumérés à l’article L. 4161-1 ;
  2. L’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés ;
  3. L’effectif à partir duquel les délégués syndicaux peuvent être désignés, leur nombre et la valorisation de leurs parcours syndical ;
  4. Les primes pour travaux dangereux ou insalubres.

 

Bloc n° 3 : les matières du seul ressort des entreprises.

Dans toutes les matières non énumérées aux blocs1 et 2, les entreprises pourront négocier librement et prévoir des dispositions moins favorables que la convention collective.

Autrement dit, la plupart des matières peuvent désormais être négociées librement dans l’entreprise.

Ainsi, la plupart des droits familiaux entrent désormais dans le libre champ de la négociation d’entreprise.

Exemple : les congés pour enfants malades sont prévus par le code du travail.

Néanmoins, il s’agit de congés sans solde non rémunérés.

La rémunération des jours de congés d’enfants malades est un droit issu des conventions collectives.

Désormais, par accord d’entreprise, il sera possible de revenir sur le paiement des congés pour enfants malades.

Les dispositions concernant la maternité sont également impactées par cette inversion de la hiérarchie des normes.

En effet, la règle du maintien à 100 % de la rémunération pendant le congé maternité n’est pas prévue par le code du travail.

Ce sont les dispositions conventionnelles qui le prévoyaient la plupart du temps.

Avec les ordonnances Macron, par simple accord d’entreprise, il sera possible de revenir sur ces dispositions.

L’allongement de la durée des congés maternité par rapport à la durée légale : là encore, ce thème entre dans le bloc numéro 3 de la négociation, c’est-à-dire celui du seul ressort des entreprises.

Les primes d’ancienneté sont également concernées.

La prime de 13e mois aussi.

 

Par accord d’entreprise, il est désormais possible de supprimer la prime de 13e mois ainsi que les primes d’ancienneté prévues par les accords de branche.

L’indemnité conventionnelle de licenciement est également impactée.

 

Par accord d’entreprise, il sera possible de revenir sur les indemnités conventionnelles de licenciement de sorte que les salariés ne percevront plus que l’indemnité légale.

Idem pour les préavis de licenciement.

De nombreuses conventions collectives prévoient des préavis de licenciement plus longs que ceux prévus par la loi (moins de six mois d’ancienneté, pas de préavis sauf usage ; de six mois à deux ans d’ancienneté : un mois de préavis; au-delà deux ans d’ancienneté : 2 mois de préavis)

A noter que par accord d’entreprise, il sera possible de ramener la durée du préavis de licenciement des cadres à 2 mois et non plus 3 mois comme c’est le cas actuellement.

La vigilance est donc de mise dans le cadre des négociations et chaque négociateur doit impérativement s’attacher à mesurer l’impact de la teneur des dispositions soumises à sa signature.

 

La négociation des accords « Emplois ».

Attention danger !

Ce sont des accords dont la portée est redoutable.

Sous couvert de répondre aux nécessités propres au fonctionnement l’entreprise, ces accords « emplois » permettent, pour une durée maximum de cinq ans :

  • d’aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition
  • d’aménager la rémunération dans le respect du SMIC et des minimums conventionnels
  • de déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.

Autrement dit, ces accords permettent pour une durée de cinq ans de diminuer la rémunération des salariés y compris celle prévue au contrat de travail.

Ils permettent de diminuer le temps travail, d’imposer un travail à temps plein à des salariés à temps partiels, d’imposer une mutation géographique.

Les conséquences de ce type d’accords sont considérables, notamment pour les femmes.

Sociologiquement, les femmes sont les moins mobiles.

La prise en charge au quotidien des contraintes liées aux enfants scolarisés les empêche d’accepter une mutation géographique.

Les femmes sont aussi les plus nombreuses à être à la tête foyers monoparentaux.

Elles sont souvent à ce titre, la seule source de revenus du foyer.

Si l’on réalise qu’elles sont par ailleurs payées 16 % de moins que les hommes, toute baisse de rémunération peut avoir un impact considérable sur leur vie personnelle et celle de leur famille.

Elles seront donc nombreuses à être contraintes de refuser la modification de leur contrat de travail induite par ce type d’accord.

En cas de refus, les salariés seront licenciés pour une cause et sérieuse et toucheront des allocations de chômage de droit commun (57 % du salaire pendant deux ans voir trois ans s’ils ont plus de 55 ans). Ils ne sont pas éligibles à la CSP qui permet de percevoir, en cas de licenciement économique, des allocations de chômage égal à 75 % du salaire brut pendant une année.

 

Ces accords emploi sont donc particulièrement dangereux et devront être appréhendés avec la plus grande circonspection voire la plus grande défiance par le négociateur.

Ainsi le négociateur sera bien avisé d’envisager de faire figurer dans ce type d’accord des garde-fous tenant à la prise en considération des contraintes familiales et personnelles des salariés visés.

S’agissant de la mobilité géographique, le négociateur pourra amener l’employeur à faire figurer ,dans l’accord, une clause limitant la possibilité de mutation aux seuls salariés à temps pleins, voire d’en exclure les salariés en situation de monoparentalité…

 

La négociation sur la négociation

Les ordonnances du 22 septembre 2017 suppriment les délégués du personnel, des comités entreprises, les CHSCT pour faire place à une seule et unique instance représentative du personnel : le Comité Social Economique : le CSE.

Par accord d’entreprise, il est désormais possible de négocier sur la périodicité de la consultation du CSE.

Ainsi, un accord pourra prévoir que la consultation du CSE sur les trois grands thèmes récurrents (orientations stratégiques de l’entreprise, situation économique et financière entreprise, politique sociale et conditions de travail et emploi) n’interviendra plus annuellement mais tous les trois ans !

Il est également possible de prévoir que la consultation sur les orientations stratégiques ne se fera plus au niveau d’entreprise mais au niveau du groupe, privant ainsi les CSE de leurs prérogatives et de leur utilité !

Les ordonnances prévoient même la possibilité de négocier sur le contenu de la banque de données économiques et sociales (BDES).

Par accord, il sera possible de négocier le contenu de la BDES ainsi que les conditions d’accès à la BDES qui pourront donc être limitées, là où le code du travail prévoyaient auparavant que tous les représentants du personnel (y compris les syndicaux compris) y avaient accès !

Pire, par accord d’entreprise, il est désormais possible de décider que la négociation obligatoire (rémunération, temps travail, partage la valeur ajoutée, égalité professionnelle entre les hommes et femmes, qualité lieu travail, j’ai PLC) n’atteindra plus que tous les quatre ans !

 

 

Il est donc particulièrement important de mesurer les enjeux des accords sur le fonctionnement des CSE et ceux relatifs à la négociation dans l’entreprise.

Comment, en effet, faire évoluer la rémunération des gens, faire reculer les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, si les représentants du personnel s’accordent pour ne négocier sur ces thèmes que de manière quadriennale ?

Les dangers sont cernés ; la vigilance est de mise.

Chaque négociateur doit faire l’effort de se former pour maîtriser au mieux le droit du travail.

Chaque négociateur doit également faire des efforts de communication et de pédagogie à l’égard des salariés qui doivent pouvoir comprendre pourquoi leur représentant s’est opposé à la conclusion d’ un accord ou au contraire pourquoi il l’a soutenu.

 

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