La rénovation du DUER au service de l’effectivité de l’obligation de sécurité
Actualité publiée le 13/07/2022
Par Maître Laure GERMAIN-PHION
La loi n° 2021-1018 du 2 aout 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail modifie les dispositions du Code du travail relatives au document unique d’évaluation des risques professionnels, faisant de celui-ci la pierre angulaire de l’obligation générale de santé et sécurité en entreprise.
A l’origine conçu come un support cataloguant les risques professionnels présents dans une entreprise, le DUER avait déjà eu l’occasion de prendre du galon lorsque la Cour de cassation jugea recevable la demande de paiement de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation d’établir le document unique d’évaluation des risques (Cass. Soc. 8 juil. 2014, n°13-15.474 et n° 13-15.470). La loi « Santé » du 2 aout 2021 vient renforcer la place du DUER dans l’obligation de prévention des risques professionnels.
L’évaluation des risques professionnels concerne dorénavant l’organisation du travail.
L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou réaménagement des lieux de travail ou des installations, dans l’organisation du travail et dans la définition des postes de travail (C. trav. art. L. 4121-3).
L’organisation du travail est ainsi présentée comme source de potentiels risques professionnels que l’employeur doit évaluer en conséquence.
Cette évaluation des risques professionnels reste répertoriée dans le DUER. Si ce dernier était auparavant régi par des dispositions réglementaires (décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001), il est aujourd’hui encadré par le nouvel article L . 4121-3-1 du Code du travail.
Le décret d’application du 18 mars 2022 ajoute à la liste des items que l’employeur doit prendre en compte dans le document unique, les effets combinés des agents chimiques dangereux.
Cette prise en compte du danger de la poly-exposition aux agents chimiques dangereux met en évidence le souci du législateur d’assurer l’effectivité des mesures prises dans le cadre de l’obligation de prévention des risques en entreprise.
Le nombre de contributeurs à l’évaluation des risques professionnels dans l’entreprise augmente
Apportent dorénavant leur contribution à l’élaboration du document unique : le comité social et économique dans les entreprises d’au moins 50 salariés et son éventuelle commission santé, sécurité et conditions de travail ; les salariés désignés pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise en application de l’article L. 4644-1 du Code du travail ; et le service de prévention et de santé au travail (C. trav. art. L. 4121-3 alinéa 2 à 6).
La loi instaure ainsi l’obligation de soumettre le document unique et ses mises à jour occasionnelles et régulières à la consultation préalable du comité social et économique.
La loi « Santé » de 2021 rappelle le lien évident entre le document unique et les actions concrètes de prévention des risques.
Ainsi, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, l’employeur doit élaborer un programme annuel de prévention des risques et d’amélioration des conditions de travail qui (C. trav. art. L. 4121-3-1) :
« – fixe la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l’année à venir (mesures de prévention, conditions d’exécution de la mesure, des indicateurs de résultat et l’estimation du cout de la mesure) ;
– identifie les ressources de l’entreprise pouvant être mobilisées ;
– comprend un calendrier de mise en œuvre ».
Dans les entreprises de moins de 50 salariés, une liste d’actions de prévention intégrée dans le document unique doit être définie.
Ces documents de prévention (programme ou liste) sont présentés au comité social et économique dans le cadre de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise.
Afin d’assurer dans le temps ce lien entre le document unique et les mesures de prévention mise en place, et garantir ainsi leur effectivité, le législateur prévoit qu’à chaque mise à jour du document unique, une mise à jour des actions de prévention soit concomitante si nécessaire (C. trav. R. 4121-2).
En dehors de l’hypothèse de suppression d’un risque, la mise à jour des actions de prévention ensuite de la mise à jour du document unique sera sans aucun doute toujours nécessaire.
Le document unique doit être régulièrement mis à jour et chacune de ces versions est conservée pendant quatre décennies.
Le document unique assure la traçabilité collective des expositions aux différents risques professionnels. Cette traçabilité collective est premièrement rendue possible par l’obligation de mettre à jour le document unique a minima tous les ans en ce qui concerne les entreprises d’au moins 11 salariés.
Le décret d’application du 18 mars 2022 supprime en effet cette obligation pour les plus petites entreprises.
Toutes les entreprises, quel que soit leur effectif, conservent l’obligation de mettre à jour leur document unique d’évaluation des risques lors de toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque est porté à la connaissance de l’employeur.
L’ancienne formulation « lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie » laisse place à « un risque porté à la connaissance de l’employeur ».
Il s’agit vraisemblablement ici pour le législateur de prendre en compte le risque lié à une crise sanitaire telle que celle que l’on connait depuis plusieurs années, dont le risque n’est pas lié à une unité de travail ou à l’activité de l’entreprise elle-même.
La traçabilité collective des expositions aux risques professionnels est également assurée par la conservation de chaque version du document unique pendant 40 ans sous forme papier ou dématérialisée.
A compter du 1er juillet 2023, toutes les entreprises d’au moins 150 salariés devront déposer leur document unique d’évaluation des risques et ses mises à jour sous forme dématérialisée dans un portail numérique administré par les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel. Concernant les plus petites entreprises, le délai est reporté au 1er juillet 2024.
C’est donc aux organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel de fixer le cahier des charges du déploiement et du fonctionnement du portail numérique ainsi que les statuts de l’organisme gestionnaire du portail numérique
Le document unique doit être accessible à toutes personnes et instances justifiant d’un intérêt à y avoir accès.
L’employeur doit afficher une note d’information relative aux modalités d’accès au document unique au même endroit qu’est affiché le règlement intérieur ; à défaut, elle doit être affichée à une place convenable et aisément accessible dans les locaux de l’entreprise.
Le document unique et ses versions successives et antérieures sont donc tenus à disposition (C. trav. L. 4121-3-1 et R. 4121-4):
– des travailleurs et anciens travailleurs dans la limite des versions en vigueur durant leur période d’activité dans l’entreprise et dans la limite des seuls éléments afférents à l’activité du demandeur lui-même ;
– des membres de la délégation du personnel du Comité sociale économique;
– du service de prévention et de santé au travail (médecins, infirmiers, intervenants en prévention des risques professionnels) ;
– des agents de l’inspection du travail ;
– des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale ;
– des agents des organismes professionnels de santé, de sécurité et des conditions de travail spécifiques aux branches d’activité présentant des risques particuliers
– des inspecteurs de la radioprotection.
Il ne fait aucun doute que l’accès aux différentes versions du document unique facilitera, en plus de la traçabilité collective des risques professionnelles, l’établissement des attestations et autres documents assurant une traçabilité individuelle de l’exposition des salariés à de nombreux risques professionnels, et donc la qualification professionnelle de certaines maladies déclarées souvent des années après la fin du travail.
Maître Laure GERMAIN-PHION
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